La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter à Bruxelles Des signes, des scènes, la première exposition personnelle de Victoria Palacios à la galerie. Née en 1992 à Rennes, l'artiste française vit et travaille à Bruxelles depuis plusieurs années, où elle a obtenu son diplôme en option performance et peinture à l'École de Recherche Graphique (ERG) en 2019. À travers une pratique pluridisciplinaire mêlant peinture, musique et performance, Victoria Palacios plonge les visiteurs dans un univers théâtral aux récits multiples, mêlant le sublime à l'inquiétant. L'exposition dévoile des peintures inédites, des objets et autres créations récentes, dans lesquelles des figures fascinantes prennent vie. Chaque œuvre semble suspendue entre l'extase d'une célébration à son apogée et la morosité d'un spectacle qui touche à sa fin.
Des clowns, des cygnes, des veuves voilées et des figures fantomatiques, accueillent en parade les visiteurs au sein de l'exposition. Les objets représentés s'animent également : ils dansent, comme cette cornemuse (biniou) ou ce lampadaire aux courbes sinueuses, qui invite les spectateurs à l'accompagner. Une dimension animiste s'empare de tous les médiums employés, les transformant en êtres vivants sous l'intensité du geste de l'artiste. Entre ces murs blanc immaculé, l'ensemble des éléments font partie d'une grande fête : celle qui enivre par ses formes, ses représentations et par ses couleurs, aussi criardes que profondes. Chacune des pièces présentées pourrait déjà avoir vécu, portant les traces d'une usure, comme ces chaussures éclaboussées de peinture, déposées là, prêtes à se glisser aux pieds des protagonistes qui entreront sur scène à tout instant. Ici, le spectacle - et sa comédie intrinsèque - semble sur le point de commencer.
L'intelligence sensible du visiteur entre en jeu, à la fois désorienté dans l'espace, dans le temps, et par les sentiments qui le traversent. C'est précisément cette fine tension émotionnelle et temporelle que Victoria Palacios cherche à capturer : quelle excitation nous saisit avant que le spectacle ne débute ? Et, de même, quel est le sens du vertige qui nous prend une fois la scène désertée?¹ Que deviennent les objets, la réplique, le rire furtif, le clown et l'ivresse collective lorsque la fête est finie? Entre les rideaux, les sols en damiers et les mises en scène, l'instant de grâce ne dure pas, et la mélancolie surgit.
Les œuvres incarnent cette ambivalence subtile, où le sublime et l'inquiétant s'entrelacent dans une fête troublante. Le cygne en est l'emblème avec sa beauté majestueuse qui dissimule une agressivité sous son apparence gracieuse. L'artiste approfondit cette dualité avec le clown, figure capable de provoquer des éclats de rire et des frissons d'effroi. Quant à la veuve, drapée dans ses tissus somptueux et soyeux, elle évoque un sentiment de lutte intime, mêlé à la mélancolie d'un temps révolu. Cette tension émotionnelle traverse toute l'œuvre de Victoria Palacios, où l'humour, la joie et le vertige s'entremêlent dans un seul et même souffle.
Différentes temporalités se déploient dans l'exposition : la peinture, inscrite dans un temps long, contraste avec la nature éphémère des arts vivants. Dans l'œuvre de Victoria Palacios, ces deux disciplines sont les deux faces d'une même pièce. L'artiste, qui baigne dans la musique depuis son plus jeune âge, multiplie depuis plusieurs années ses performances à l'international : avec Loto Retina, elle forme le duo Alto Fuero, avec lequel elle se produit, entre autres, à Lafayette Anticipations à Paris et aux Halles de Schaerbeek avec le spectacle Diboell. Depuis 2024, l'artiste fait également partie de l'ensemble musical 5th of July et participera cet été au Donaufestival à Krems, en Autriche. Bien que la performance et la peinture s'inscrivent dans des rythmes différents, elles trouvent leur point commun dans l'intensité d'un travail laborieux : l'une, improvisée et immédiate, l'autre, patiente et longue, mais toutes deux forgées par des heures, des jours, des mois, voire des années de création.
L'œuvre de Victoria Palacios s'inscrit dans une longue tradition artistique où les figures emblématiques du spectacle, telles que les clowns et les arlequins, ont été travaillées par des maîtres de la peinture comme James Ensor ou plus récemment Georges Condo. Bien que ce motif soit récurrent, l'artiste choisit de le réinventer en superposant des couches épaisses de peinture sur des supports aussi atypiques qu'amusants, tels que des livres, des chaussures, ou encore des tartines de pain. En défiant l'esthétique traditionnelle de la peinture sur toile ou sur bois, Victoria Palacios brouille les frontières : le sacré semble s'emparer de l'objet ordinaire ; il émerge du profane. Son univers résonne également avec celui d'artistes contemporains tels qu'Andrea Fraser ou Martin Kippenberger, dont l'approche transgressive et multidimensionnelle lui fait écho. Qu'elles soient sonores, performatives ou peintes, ses œuvres se nourrissent mutuellement, inscrites dans l'histoire de l'art tout en la poussant à se réinventer pour de nouvelles narrations.
Enfin, Des signes, des scènes se veut un terrain de jeu ludique et pédagogique qui joue avec les perceptions des visiteurs. Dans ce spectacle immobile - parsemé d'objets qui appellent à une nouvelle célébration - l'enchantement prend peu à peu forme. Et progressivement, le visiteur pourrait réaliser qu'il assiste au spectacle de sa propre vie : une existence faite de fétiches, d'improvisations, de rires, de blessures et de deuils, de rencontres et d'harmonies, aussi impromptus qu'organisés.
¹ Cette idée a été évoquée lors d'un entretien avec Macha Makeïeff, auteure, metteure en scène, co-commissaire de l'exposition En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques, du 4 décembre 2024 au 12 mai 2025, Mucem - Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, Marseille.
Victoria Palacios : Des signes, des scènes
Forthcoming exhibition