Nathalie Obadia est heureuse de présenter dans sa galerie de Bruxelles une exposition collective de photographies, réunissant plusieurs artistes représentés par la galerie parmi lesquels Valérie Belin, Patrick Faigenbaum, Laura Henno, Seydou Keïta, Youssef Nabil, Laure Prouvost, Sarkis, Andres Serrano, Mickalene Thomas et Agnès Varda. L'exposition propose une multitude de parcours visuels, allant au-delà d'une simple narration : les œuvres présentées interrogent autant qu'elles reconfigurent le réel. Dans cet ensemble, les artistes révèlent tant les territoires géographiques qu'ils traversent que les paysages intérieurs des portraits photographiés. Le visiteur parcourt des lieux à la fois physiques et mentaux, repensant le monde et ses multiples représentations.
Dans sa série à Slab City, par exemple, Laura Henno explore un espace où la marginalité se transforme, à travers ses photographies, en un territoire intime et sensible. Ancienne base militaire abandonnée, ce lieu du désert californien est aujourd'hui un refuge pour ceux cherchant à s'extraire des normes sociales. Les trois portraits de l'exposition sont placés au centre de la composition, et leurs visages - juvéniles ou marqués par le temps - sont éclairés par une lumière éclatante. Leurs yeux fixent l'objectif comme s'ils souhaitaient transmettre un message. Loin du simple témoignage, Laura Henno saisit la réalité poignante de ce territoire, tout en y injectant subtilement une dimension poétique.
Dans une veine similaire, Andres Serrano, avec sa série Nomads, nous confronte à la réalité crue des sans-abris. L'artiste choisit de réaliser leurs portraits tard dans la nuit, dans le métro new- yorkais, en installant une toile de fond pour photographier ses sujets. En déplaçant son studio sur leur lieu de vie, Andres Serrano parvient à saisir les facettes de leurs identités, dissimulées sous les couches de vêtements usés masquant les traces d'une existence marquée par la rue.
La valorisation des identités marginalisées se trouve également dans la démarche de l'artiste malien Seydou Keïta, qui a exercé à Bamako entre 1948 et 1960. Longtemps utilisée comme outil de domination, la photographie servait à recenser les populations sous le joug de la puissance coloniale. Avec Seydou Keïta, la photographie prend une tournure radicalement changée. Ses sujets ne sont plus les objets d'une mise en scène imposée, devenant les acteurs d'une démarche artistique réaffirmant le contrôle sur leur image et leur identité. Par ses portraits, l'artiste livre un précieux témoignage de l'émancipation de la société malienne, revendiquant sa dignité et sa modernité.
Dans un registre contemporain, l'artiste Mickalene Thomas poursuit cette quête d'une réaffirmation identitaire des sujets qu'elle photographie. Par ses collages et ses peintures, l'artiste met en lumière des figures féminines aux postures audacieuses et affirmées. Portrait of Clarivel Looking Down (2008) met en scène une jeune femme au regard fuyant, esquissant un léger sourire. À travers cette photographie, l'artiste célèbre l'individualité de son sujet : Mickalene Thomas revendique une relecture de la beauté et de l'identité féminine, loin des stéréotypes imposés par le regard masculin.
La photographie permet de reconfigurer le réel en jouant sur des éléments tels que la colorimétrie, les motifs ou le geste. L'œuvre de Youssef Nabil en est l'exemple significatif. L'artiste s'engage dans une exploration poétique de l'Orient, offrant une vision à la fois intime et nostalgique. Ses photographies, baignées d'une lumière tamisée, dévoilent des scènes où les étoffes flottent dans l'air, créant un univers onirique, entre rêve et réalité. Cette dimension poétique permet l'évasion, une spécificité que l'on retrouve également chez Laure Prouvost. En interférant directement avec la pellicule photographique - par l'ajout de texte et d'éléments picturaux - l'artiste brouille davantage les frontières entre la photographie, la poésie et la peinture. Son travail nous invite à repenser non seulement la manière dont nous abordons les images, mais aussi la façon dont elles façonnent et déconstruisent la réalité.
L'œuvre de Valérie Belin s'inscrit dans une interrogation sur les frontières entre le réel et l'artifice. À travers une manipulation complexe de la photographie, elle crée des compositions où les éléments sont déconstruits et recomposés, questionnant ainsi la nature de la représentation. Ses portraits, véritables objets hybrides, remettent en cause la véracité de l'image et la construction de l'identité.
À travers leurs démarches, ces artistes révèlent le potentiel de la photographie à transformer le réel. En abordant des thèmes tels que l'identité, la mémoire ou l'intimité, ils parviennent à saisir l'invisible. Comme Sarkis qui, dans ses photographies d'Andy Warhol, parvient à s'immiscer lors d'un tournage télévisé en 1967 pour capturer l'artiste dans un contexte plus intime et secret. L'œuvre d'Agnès Varda semble également faire écho à cela : en photographiant des artistes comme Calder ou Valentine Schlegel, elle offre un accès direct à des instants privés et des relations personnelles. La lumière occupe également une place essentielle dans ce corpus, notamment dans les photographies de Patrick Faigenbaum réalisées à la cristallerie Saint-Louis. Ici, la lumière, loin d'être un simple outil technique, se transforme en un vecteur poétique, un moyen de saisir l'éphémère dans sa quintessence.