La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter la première exposition personnelle de l'artiste indien Viswanadhan dans sa galerie parisienne, au 91 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008. Un ensemble de peintures réalisées entre 2000 et 2010 permettent de découvrir quinze œuvres de l'artiste, témoignant de ses différentes évolutions. Cette sélection dévoile des peintures à la palette chromatique changeante, où le rouge s'affirme peu à peu comme la couleur dominante. Reconnu comme l'une des figures de proue de la scène artistique contemporaine, Viswanadhan a la capacité de mêler avec finesse tradition et modernité, dans une démarche artistique à la fois intime et universelle.
Né en 1940 à Kadavoor, dans l'État du Kerala, Viswanadhan a grandi dans un environnement imprégné de culture et de spiritualité, influencé par les traditions de la caste des Vishvakarma qui regroupe les artisans, architectes, peintres et sculpteurs. C'est dans ce contexte que, dès son enfance, il s'initie à la sculpture d'idoles et aux mandalas, ces figures géométriques sacrées utilisées dans les rituels hindous et tantriques. Ces premières explorations des couleurs, des formes et des symboles marqueront durablement son travail, se manifestant, tout au long de sa carrière, comme les échos de ses racines indiennes.
Formé au Government College of Arts and Crafts de Madras (aujourd'hui Chennai), Viswanadhan y découvre les principes fondamentaux de l'art occidental. Contrairement à l'école de Bombay, qui se nourrit directement de ces influences, les écoles de Madras et de Calcutta adoptent une approche plus syncrétique, cherchant à marier les traditions esthétiques de l'orient et de l'occident sans renier leur propre héritage. C'est ainsi que Viswanadhan se confronte très tôt à la scène internationale, notamment lors de l'exposition Two Decades of American Painting, organisée par Clement Greenberg à New Delhi en 1967. À cette occasion, il se retrouve pour la première fois face aux œuvres de Mark Rothko, Jackson Pollock et Sam Francis, qui marqueront son regard. Cependant, loin de se limiter à une simple appropriation des courants occidentaux, Viswanadhan choisit de les transcender en renouant avec le geste premier de son enfance et en établissant un véritable dialogue avec ses origines.
Cette démarche s'intensifie paradoxalement en 1968, lorsque l'artiste quitte l'Inde pour visiter Paris. C'est dans ce contexte qu'il fait la rencontre décisive de Myriam Prévot, alors directrice de la Galerie de France. Cette collaboration marque un tournant dans sa carrière : il prend la décision de s'installer dans la capitale française, ce qui l'amène à affirmer sa démarche personnelle, approfondissant ses recherches autour de la matière et de la lumière. Car bien que Viswanadhan vive et travaille en France depuis plus de cinquante ans, l'artiste maintient un rapport étroit avec l'Inde. Ses œuvres portent en elles « ce double mouvement qui rend leur approche à la fois singulière et complexe, et dans lequel nos contemporains reconnaissent une « modernité plurielle ». »¹déclare Bernard Blistène. Ce lien profond se manifeste également dans ses voyages fréquents en Inde, en particulier à Cholamandal Artist's Village, qu'il fonde en 1966 avec son ancien professeur K.C.S. Paniker. C'est dans ce lieu qu'il retrouve son atelier d'origine et y passe plusieurs mois chaque année, ce qui renforce encore le lien entre l'héritage indien et l'art contemporain.
Dans ces différentes singularités, l'œil occidental cherche, parfois maladroitement, à intégrer les images de Viswanadhan dans une grille esthétique qui pourrait en altérer l'essence. Ces tentatives d'interprétations dénaturent ce qui est avant tout une maîtrise subtile du geste du peintre. Celui-ci, loin d'être l'artisan d'une simple représentation, orchestre l'espace, le façonne et le cultive, tel un jardinier plantant des roses au cœur même d'une nature en voie de disparition². Viswanadhan affirmant cette idée par cette déclaration : « Pourquoi chante-t-il, l'oiseau ? N'est-ce pas la réponse qu'il faut donner à celui qui pose la question au peintre sur son activité de peintre ? N'est-il pas annonciateur du temps dans l'espace donné, le chant d'oiseau ? Il chante le temps, il raconte l'espace ! »
Sa quête d'harmonie le conduit à placer les formes géométriques au cœur de son œuvre, non comme simples ornements, mais comme symboles profonds. Le Shri Yantra, emblème sacré de l'hindouisme, se réinvente dans ses créations, sa géométrie se simplifiant en une écriture presque calligraphique. Chaque ligne, chaque espace évoque l'équilibre des opposés, dévoilant les mystères du cosmos et de l'âme humaine. Dès les années 90, il entreprend un épurement radical de ses formes, explorant la couleur comme un langage spirituel. En utilisant exclusivement le vert, le jaune et le rouge, le noir et le blanc (couleurs des kalamezhuthu), chacune d'elles porte un sens profond. Ce retour à l'essentiel s'accompagne de l'usage de la caséine, qui lui permet de jouer avec la lumière et la transparence, ajoutant ainsi une nouvelle dimension à la matière.
Dans ses toiles, Viswanadhan adopte une structure majoritairement horizontale, qui semble évoquer le mouvement du travelling cinématographique, où la caméra suit un sujet, le rapproche, l'éloigne ou le contourne. Ce choix formel fait écho à sa pratique du cinéma, une dimension essentielle de son œuvre. Ses films, comme Sable (1976), témoignent de cette même quête, celle d'une exploration poétique des paysages indiens. Ce voyage l'amène à récolter du sable dans des lieux mythologiques, un geste à la fois symbolique et matériel, qui nourrit aussi bien ses tableaux que ses films. Le cinéma comme la peinture deviennent ainsi des chemins à parcourir, des quêtes visuelles invitant le spectateur à se déplacer à travers ses œuvres. Cette approche, renforcée par sa manière de peindre debout - la toile posée sur des tréteaux - souligne le mouvement et la recherche incessante, où chaque ligne, chaque nuance portée par la lumière et la matière, participe à une exploration de l'espace et du temps. La quête devient un voyage sans fin, une invitation à découvrir, sous un nouveau regard, la profondeur cachée de l'œuvre.
Ainsi Viswanadhan ne se contente pas de réduire les formes, il en saisit l'essence même. La couleur et la lumière deviennent des vecteurs d'une quête plus vaste, celle d'une expérience de l'être qui transcende le visible et le palpable, invitant à une réflexion profonde sur l'existence et la spiritualité. Car, être peintre ne signifie pas adorer un monde déchu, mais « se retourner vers la seule source de beauté qui lui reste, lui-même. »³ cite Viswanadhan.
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Sharjah Biennial 16, La Biennale de Sharjah, du 6 février au 15 juin 2025 consacrera un pavillon entier à Viswanadhan avec la présentation de plus de 40 oeuvres ; peintures, oeuvres sur papier, photographies et films.
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¹ Bernard Blistène, Le Maître et l'Univers, Galerie Nathalie Obadia, 2025
² Jean-Jacques Lévêque, VISWANADHAN, l'arpenteur de l'infini, Paris, 1973
³ Wassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Folio Essais, 1989