La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter Ras bord, la nouvelle exposition personnelle de Jérôme Zonder dans sa galerie à Paris. Un nouveau corpus d'œuvres réunit les derniers portraits de Pierre-François, personnage fictif que l'artiste a emprunté au film Les enfants du paradis de Marcel Carné (1945).
Bien que les portraits soient omniprésents dans l'œuvre de Jérôme Zonder - Pierre-François, Baptiste et Garance y apparaissent en leitmotiv depuis plus de quinze ans - la matière qui les compose occupe une place décisive. Elle est celle qui habite et incarne ses personnages au-delà d'une simple figuration ; elle est leur chair et leur donne corps par les valeurs et contrastes travaillés.
Pourtant, rappelons que l'artiste fait le choix d'utiliser le matériau le plus élémentaire et la technique la plus directe qui soient : celle du dessin au crayon graphite, à la mine de plomb et au fusain. Sa virtuosité lui permet d'exploiter toutes ses possibilités : représentations réalistes, proches du photoréalisme, compositions abstraites mais aussi frottements de paume et autres empreintes digitales se devinent parmi les tracés fixés sur la feuille, manifestant l'engagement de Jérôme Zonder dans l'acte de création. Le vivant semble ainsi s'emparer du trait de l'artiste. D'abord par le corps à corps qu'il entretient avec son dessin, mais également par la représentation de ses sujets, de leur peau comme enveloppe protectrice et de leurs mains, si réelles, comme membranes sensorielles. Les noirs subtilement nuancés suggèrent également la matière grise de ses personnages, le carbone étant l'un des principaux composants du corps humain.
À cette multiplicité de registres s'ajoute un vocabulaire visuel propre à l'artiste. Une quantité d'images équivalente à des années de collectes s'organisent à l'intérieur des portraits réalisés. Dissimulés derrière une chemise entrouverte ou logés dans la tête de son personnage, les fragments d'images aux thématiques variées se chevauchent et semblent dialoguer. Archives historiques, scènes cinématographiques et faits d'actualité se côtoient le temps d'un dessin, créant de nouvelles relations. L'œil du visiteur se fraie un chemin parmi cette juxtaposition de styles et de formes, appréciant les rencontres fortuites et ses nouvelles narrations.
Ces rapprochements entre les images peuvent se lire comme les pages de l'Atlas Mnémosyne d'Aby Warburg¹ . Des collisions naissent de ces organisations spatiales, donnant lieu à de nouvelles lignes de connaissances. Certaines expressions visuelles - telle que la victoire ou la douleur - se font écho d'une image à l'autre, quelle que soit leur époque. Ces plongées dans les images servent ainsi de révélateur : leur organisation est laissée aux milles interprétations de ce qui se passe entre les images, dans ces espaces faits de vides, de pleins, et de nuances infinies. Chaque étude de Pierre-François est en ce sens une tentative : celle de "fabriquer des écritures qui permettent d'incarner les questionnements autour du portrait dans le dessin" s'exprime l'artiste.
"Comme les mots d'une langue se combinent pour former une phrase, les dessins se révèlent dans leur projet des unités modulables à loisir"² déclare Catherine Francblin. Depuis plus de quinze ans, le paysage mental de Pierre-François évolue, cumulant une quantité d'images comme sédimentées dans son esprit. Et particulièrement dans Ras bord, Jérôme Zonder pousse cette logique à l'excès. Il fait du remplissage le mode de représentation employé pour fabriquer les portraits de Pierre-François. Celui-ci, assis sur un fauteuil ou en gros plan, fait face à son regardeur. Gavé d'images de toutes natures et de toutes provenances, leurs grouillements constituent la matière même du personnage, saturant sa figure et son corps. Repu, il attend en rêvant.
Ras bord concentre en un seul moment, dans chacun des portraits de Pierre-François, ce qui se déploie dans les trois temps du dispositif de l'exposition C'est un petit chemin au musée d'art et d'histoire du Judaïsme, visible jusqu'au 27 octobre.
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Jusqu'au 27 octobre
Jérôme Zonder. C'est un petit chemin
Musée d'art et d'histoire du Judaïsme
Hôtel de Saint-Aignan
71 rue du Temple
75003 Paris
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¹ Benjamin Bianciotto, ''Divertimento'', Jérôme Zonder - Joyeuse Apocalypse !, Catalogue d'exposition (Luxembourg, Casino Luxembourg - Forum d'art contemporain, 07.10.23 - 07.01.24), p.37.
² Catherine Francblin, ‘‘Jérôme Zonder. Le dessinateur derrière le dessin’’, Jérôme Zonder. C’est un petit chemin, Catalogue d’exposition (musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 01.06.24 – 27.10.24), p.554.