La Galerie Nathalie Obadia est heureuse d'accueillir la première exposition de Johanna Mirabel. Peintre française aux origines guyanaises, Johanna Mirabel conçoit des scènes d'intérieur aux contours éthérés, habités par des personnages aux postures alanguies. Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2019, Johanna Mirabel est la lauréate de la dixième édition de la Bourse Révélations Emerige intitulée Hit Again, sous le commissariat de Gaël Charbeau.

 

Avec Adieu la chair, Johanna Mirabel explore le thème du carnaval dont l'étymologie donne son titre à l'exposition. Si cette expression latine renvoie aux racines chrétiennes des festivités données la veille du mercredi des cendres, début du Carême, son origine pourrait remonter jusqu'aux hommes des cavernes. Les variétés culturelles du carnaval inspirent ainsi l'artiste, qui se nourrit de vastes références graphiques, des tableaux de James Ensor aux photographies prises en Guyane où le carnaval est la fête la plus importante.

 

C'est en proposant dans son œuvre un dialogue entre des références occidentales baroques et des repères plus personnels que l'artiste se fait vite repérer sur la scène contemporaine. On lui reconnait sa palette vive dans laquelle l'ocre rouge devient signature, citation aux tableaux de Velazquez où la couleur intervient dans nombre de drapés et autres rubans, mais évoque aussi le sol de la Guyane où l'artiste puise ses références. Ce syncrétisme découle d'une ambition de conceptualiser l'identité comme un mélange complexe formé au rapport de l'autre. Dans le cadre de l'exposition, Johanna Mirabel s'intéresse notamment au concept d'« opacité » tel que défini par Edouard Glissant.

 

Le philosophe martiniquais entend reconnaître les différences, parfois opaques, entre les cultures, et les accepter sans chercher à en réduire la complexité et la diversité. Ainsi chacun est en droit de garder une part d'ombre, sans être rendu entièrement transparent à l'autre, et les relations interculturelles peuvent prendre forme de façon harmonieuse dans le respect de l'incompréhensibilité partielle. Johanna Mirabel vise à transposer cette théorie dans ses tableaux en variant les textures, et jouant de zones de transparence et d'opacité. Ainsi dans certaines de ses nouvelles toiles, comme dans Le Dernier Dimanche, 2024 les contours diffus du personnage sont esquissés dans un rouge vif, cerné de noir de pérylène tracé de coups de pinceaux assurés.

 

Le style de figuration de l'artiste évolue ainsi vers un traitement plus diffus des visages des personnages, certains se démarquant à travers des traits clairement définis, et d'autres pour lesquels on devine les parties du corps ou les contours des têtes. Ces figures, dont on accepte de ne pas tout connaître et dont l'individualité existe dans une part d'inconnu n'en restent pas moins des êtres complexes, qui attisent la curiosité. Ces visages esquissés ne sont pas sans rappeler les masques du carnaval, importants à plus d'un titre dans le cadre de ces célébrations. Ils sont tout autant symboles de mythes et légendes locales qu'outils de liberté d'expression et de comportement, dissimulant l'identité de ceux qui les portent, et ainsi leurs différences sociales et culturelles. Les figurants de Paré Masqué, 2024 assument la place centrale du tableau, pourtant masqués de coups de peinture ocre. On ressent néanmoins le caractère théâtral de la scène, les masques adoptant dans ce contexte la dramaturgie propre à leur emploi au carnaval.

 

Alternant différents types de toiles, de gessos, enduits clairs et de glacis, Johanna Mirabel œuvre d'effets de matières qui offrent une véritable complexité à ses tableaux. On discerne une certaine dose de mystère dans ces scènes, pourtant coutumières de par leur environnement domestique. Le visiteur est happé, reconnaissant des salons, salles de bains et autres chambres, bien qu'intrigué au second regard par un style de figuration parfois évanescent. L'artiste joue ainsi du familier pour nous emmener à la découverte du mystère. Ces scènes d'intérieur ancrent le regard, et nous emmènent dans le théâtre d'une intimité dont les contours sont tracés par des gestes architecturaux.

 

On retrouve ce même intérêt pour l'architecture dans l'installation réalisée pour l'exposition par Johanna Mirabel en collaboration avec sa sœur, Esther Mirabel. Intitulée Folie à deux, celle-ci fait référence au terme architectural du même nom, une construction issue d'un pari, défi de réalisation dans un temps très court. L'installation suggère également le caractère intime de ces bâtisses qui s'exprime ici dans les mémoires et souvenirs qui inspirent les formes de l'œuvre, en rappel à la case créole familiale de Cayenne. Des arches, ponts, et escaliers lient les structures, et sont autant d'éléments architecturaux de transition qui interviennent en connexion avec les peintures. Car si le bois vient faire écho aux grandes lattes de plancher que l'on retrouve dans les toiles de Johanna Mirabel, les formes viennent également suggérer l'ossature du corps, les couleurs viennent faire allusion à la chair.