La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter Sensibilité, la cinquième exposition personnelle de Nú Barreto entre les galeries de Paris et de Bruxelles.


Originaire de São Domingos en Guinée-Bissau, Nú Barreto est l'un de ces artistes qui "savent inscrire la réalité contemporaine dans une forme singulière nettement symbolique'' déclare le critique d'art Philippe Dagen, dans un article publié dans le Monde. Depuis l'enfance de l'artiste, le dessin est le lieu dans lequel s'inscrit toutes les expressions : Nú Barreto transmet sa vision sensible à partir d'un répertoire graphique résolument personnel. L'exposition présente à la fois des œuvres sur papier anciennes et récentes - convoquant le dessin et le collage - ainsi qu'un drapeau aux dimensions monumentales intitulé Transmissions (2022). Celui-ci s'inscrit dans la continuité de la série États-Désunis d'Afrique initiée en 2009, reprenant le drapeau américain aux couleurs troquées par celles de la majorité des États africains. Traços Diário 1 (2020), un polyptyque de 42 dessins conçu comme un carnet de bord durant la pandémie, figure également parmi cette sélection.


Dans l'ensemble des œuvres sur papier se retrouvent des silhouettes humaines, des animaux, des fruits et autres objets tantôt esquissés ou découpés dans la matière. Pour réaliser ses œuvres, Nú Barreto a recours à des matériaux bruts et économiques tels que des bouts de tissus, morceaux d'emballages déchirés, carton et autres papiers recyclés provenant de palettes de supermarchés. Leurs agencements en patchworks anarchiques incarnent un certain désordre : de la composition d'abord - les personnages circulant dans l'espace "sans haut ni bas'' - et plus généralement du monde, ensuite. Dans ces univers proches du rêve et de la fantaisie se dissimulent les ''songes de la raison" de l'artiste. Le réel triomphe dans ces œuvres et Nú Barreto le manipule avec sensibilité. Il procède consciemment à une ''déroute du dessin'', dans laquelle l'humour, l'ironie et parfois même le burlesque soulignent comme dénoncent l'instabilité du monde d'aujourd'hui.


Les fantaisies que les formes suggèrent n'enlèvent donc pas à l'artiste la connaissance des violences et dérèglements à l'ère de ce troisième millénaire. À travers ses dessins, Nú Barreto ne contredit pas la réalité ; il y ajoute des nuances nouvelles à partir d'une vision lucide et sensible qu'il pose sur le monde. Lorsque le motif de la chaise à trois pieds symbolise la bancalité chronique de l'état du monde, les barreaux cassés évoquent quant à eux l'ascenseur social en panne, dont le dysfonctionnement concourt à la montée des inégalités. Quant à la forme humaine, elle perdure dans l'ensemble des œuvres telle une figure obsessionnelle, trahissant une interrogation identitaire de soi et de l'autre, dans un rapport au monde. Les corps de chaque silhouette sont représentés en mouvement permanent, rebondissant, chutant, s'enlaçant ou fuyant un danger imminent. Dans ses œuvres les plus récentes telles que Testemunho (2022) ou Ami (2023), les personnages semblent parfois s'extirper du cadre ou s'avancent vers nous dans l'épaisseur de la matière. Dans ce face à face, le visiteur vit ainsi l'expérience de la matérialité, observant les variations d'échelles et de volumes des corps représentés.


Cette dramaturgie des postures pourrait faire écho à celle retrouvée dans les œuvres de Francisco de Goya, avec notamment Les Désastres de la guerre, une série de gravures réalisée entre 1810 et 1815. André Malraux, ancien ministre des Affaires culturelles français, déclarait que le génie du peintre espagnol n'est pas "d'avoir rompu avec la volonté d'harmonie, et annexé l'horreur, il est d'avoir répondu à l'irrémédiable par la création artistique, comme l'avaient fait les grands styles religieux, sans le secours d'une transcendance''¹. Nú Barreto s'empare à son tour de la condition humaine dans ses œuvres ; la "crise de l'individu'' que subit l'Europe à la fin du XVIIIe siècle semble aussi profonde que celle que subit le monde d'aujourd'hui.


L'exposition Sensibilité rassemble ainsi un éventail d'œuvres à la puissance symbolique extrêmement forte, tant dans l'iconographie employée que dans la palette chromatique choisie. Les personnages et autres objets tantôt dessinés, découpés et disposés sur l'ensemble des œuvres nous transmettent des messages en silence ; un silence qui se crie jusqu'au yeux.

 

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¹ André Malraux, Goya, Gallimard, 1978

 



"Aborder les contenus de ma créations, impose une dose de sensibilité et de justesse. Une idéologie fondée dans la perception inspirée de la société. Des contenus Récupérés, Recyclés et Restitués (RRR). Ceci est un regard d'un témoignage illustrant les faits et gestes, dont des êtres humains fondent leur critères de vie et d'existence. L'idée proposée dans ces œuvres, démontre comment j'utilise la sensibilité et la légèreté sur des sujets, bien des fois difficile d'aborder, en imposant ce qui convient de dire, une marque personnelle. Un pratique mûrement réfléchie. La précieuse présence du rouge et du noir, interrogeant leurs utilités, reste une pratique constante dans mon expression, utilisant des signes ou des symboles, facilitant la compréhension du geste pictural. Il est en effet, plus aisé, plus subtile et complète, malgré la complexité de l'élaboration graphique, qui enrobe la morphologie, les volumes, les perspectives, les formes et la palette chromatique. Considérant la sensibilité un instrument par lequel tout doit se véhiculer, il est à prendre en compte aussi, et surtout, dans l'Art, comme un vecteur par lequel la communication artistique fera sens, dans son giron instructif. La sensibilité prend son essor encore d'une façon bienveillante, permettant le tragique d'être compris, sans tragédie. Ceci est un devoir et un exercice de conciliation des horizons et des idéologies".


Nú Barreto