La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter Wang Keping et le corps représenté, une exposition collective qui rassemble les œuvres de onze artistes de la galerie. Les sculptures de Wang Keping sont mises en dialogue avec des photographies, des dessins et autres sculptures autour d'un thème commun : le corps. Lorsque certaines œuvres le représentent, d'autres le suggèrent, allant jusqu'à révéler, par les formes et les couleurs, la diversité des émotions qui peuvent le traverser. Ainsi, cette exposition présente le corps vu par les artistes d'aujourd'hui, proposant un éventail poétique de toutes ses déclinaisons.
Les sculptures de Wang Keping se distinguent, plurielles, parmi les œuvres de l'exposition. Les formes épurées de l'artiste, né près de Pékin en 1949, se rapprochent de la philosophie Chan privilégiant la méditation, le retrait et le détachement. Les courbes et les arrondis suggèrent le corps tantôt seul ou accompagné, sculpté dans le bois ou fondu dans le bronze. Pour Wang Keping, les arbres sont semblables aux corps humains "avec des parties dures comme les os, des parties tendres comme la chair, parfois résistantes, parfois fragiles" déclare l'artiste, avant d'ajouter "je ne peux aller contre elle (la matière). Il ne me reste plus qu'à la suivre pour qu'elle accepte d'être ma complice". Les rapports étroits, voire charnels, entre l'artiste et son œuvre donnent naissance à des corps qui semblent surgir de la matière. Le bois est attentivement travaillé, les cernes et les fentes laissés visibles témoignent du pouvoir d'évolution du matériau, dont Wang Keping connaît les transformations. Cette finalité accorde à chaque surface une impression de véritable peau, la chair se dessinant dans la matière vivante. Des articulations de formes arrondies, équilibres de masses et sinuosités des veines confèrent aux sculptures une sensualité proche d'un corps féminin. La dimension érotique se profile dans les formes voluptueuses qui s'enlacent, se perdent parfois dans le matériau et fusionnent, tels des amants dans l'étreinte. Ainsi, les couples ne font plus qu'un, s'égarant l'un dans l'autre comme dans le sentiment amoureux qui pourrait les traverser. Ces "dialogues" entre les corps pourraient également faire écho à l'œuvre au titre évocateur Conversation (1998) de l'artiste Roger-Edgar Gillet. Les deux sujets sont représentés conjoints ; leurs échanges semblent se fondre dans la peinture à l'huile.
L'exposition met ainsi en exergue la puissance sémantique du corps vu par les artistes d'aujourd'hui. Son agencement dans l'espace, sa proximité avec un autre sujet, les tenues et autres accessoires portés nous donnent des indices sur les protagonistes. Le langage du corps est explicite, par exemple, dans l'œuvre d'Agnès Varda : le contact physique entre la jeune femme et les deux nourrissons pourrait symboliser la maternité, désignant une mère accompagnée de ses deux enfants. L'œuvre de Seydou Keïta est quant à elle plus théâtrale, révélant le statut social des sujets photographiés à travers une posture ou des vêtements choisis. L'artiste guide le regard, nous racontant des histoires en jouant avec l'expression corporelle. Ces ouvertures poétiques se retrouvent également dans le corps absent, symbolisé par une empreinte, un drapé ou son moulage. Lorsque le sein dénudé, et autres parties de corps, se dévoilent entièrement dans l'œuvre de Laure Prouvost et celle d'Andres Serrano, l'étoffe flottante évoque leurs contorsions dans l'œuvre de Sophie Kuijken. Le drapé parvient par substituer l'intégralité du corps dans l'œuvre de Guillaume Leblon ; le manteau s'érigeant comme la trace d'une présence fantôme, aujourd'hui disparue.
Comment représenter le corps aujourd'hui ? Comment l'œuvre d'art participe-t-elle à la naissance des identités ? Cette question siège au cœur de nos sociétés modernes. Jérôme Zonder s'intéresse au portrait de Pierre-François - personnage fictif emprunté au film Les Enfants du Paradis de Marcel Carné (1945) - et décortique les facettes de cette figure allégorique de manière à saisir, à travers elle, toute la complexité des questions du portrait et du dessin. La peinture de Hoda Kashiha et la sculpture d'Antoine Renard, sont des œuvres qui explorent quant à elles la figure du corps soumise au contexte politique et social dans lequel elle évolue. Antoine Renard reprend, par exemple, la silhouette du David de Donatello - corps longtemps idéalisé - en la retravaillant à partir d'éléments telluriques, numériques et chimiques. De ces combinaisons naissent des aspérités sur la silhouette élancée, réactualisant l'ensemble de ses complexités dans nos sociétés contemporaines. Ces réflexions sondent ainsi le corps comme objet soumis à des systèmes de productions industrialisés, mécanisés et spectacularisés.
Ainsi, l'exposition révèle le corps transformé, affranchi peu à peu des canons esthétiques d'antan. Les sculptures de Wang Keping viennent appuyer ce remaniement, le corps étant devenu à la fois l'outil, la trace et l'empreinte dans les formes déployées.
Avec les oeuvres de Wang Keping, Jérôme Zonder, Agnès Varda, Andres Serrano, Antoine Renard, Laure Prouvost, Guillaume Leblon, Sophie Kuijken, Seydou Keïta, Hoda Kashiha et Roger-Edgar Gillet.