La Galerie Nathalie Obadia est heureuse d'annoncer la présentation de la troisième exposition personnelle de Laura Henno dans ses galeries de Paris et de Bruxelles.
Intitulée Grande Terre cette exposition présente un ensemble important de photographies et films réalisés par l'artiste dans l'archipel des Comores, notamment sur les îles de Mayotte et d'Anjouan. Ces images initiées en 2013 restituent toute la complexité de ces espaces insulaires en cherchant à décrypter les tensions sociétales qui les traversent.
Depuis la fin du 20e siècle, la scission entre ces îles de l'océan Indien a transformé des déplacements séculaires en traversée clandestines. C'est en suivant le trajet de ces embarcations de fortune, qui relient quotidiennement Anjouan à Mayotte, ce 101ème département français depuis 2011, qu'elle va croiser le parcours de Ben et de Patron, passeurs illégaux à bords de ces ''kwassa-kwassa''.
En s'appuyant sur une réalité de situations et de lieux, elle va réussir à produire une écriture visuelle et métaphorique révélatrice d'un territoire tout en résistance et en croyances animistes.
Son premier court métrage Koropa, réalisé en 2016 et programmé en juin à la Nuit Blanche, est constitué d'un long plan séquence nocturne dans lequel le jeune Patron, alors âgé d'une douzaine d'année, apprend son métier de passeur avec Ben. À la même époque, elle va également filmer et photographier Fayal, Mokatir et Eli qui s'apprêtent à suivre la même trajectoire que leur jeune cousin.
En 2019, elle finalise le montage d'un second film, Djo. Avec cette œuvre, elle nous entraine vers les hauts de Mayotte pour nous montrer le lien indéfectible qui relie Smogi à Djo, son chien berger des mangroves qu'il a recueilli et sauvé. Laura Henno saisit alors l'onirisme d'un monde où l'homme vit toujours en symbiose avec l'animal. Elle fait le choix d'une approche filmique où le réel se réinvestit d'un potentiel fictionnel et fantasmagorique. En contre point de cette œuvre envoutante lauréate de nombreux prix à l'international, elle a développé une série photographique de quelques images toutes en puissance qui laissent transparaitre le rapport immémoriel existant entre Smogi, sa meute et la force de la nature omniprésente.
Lauréate du Prix SAM pour l'art contemporain en 2019, elle pourra ainsi présenter en 2022, au Palais de Tokyo, son ambitieux triptyque filmique Ge Ouryao ! Pourquoi t'as peur !. Cette interjection communément utilisée dans le langage à Mayotte, nous ramène aux peurs intrinsèques de cette société post-coloniale.
Par la suite, le corpus qu'elle pensait enfin avoir fait aboutir après 12 ans, va trouver une nouvelle opportunité d'enrichissement au travers du cadre de production de la Grande commande photographique pilotée par la Bibliothèque nationale de France en 2022 et 2023.
Cette bourse de recherche va ainsi lui permettre de prolonger la relation qu'elle avait entamée en 2017 avec la bande des ''Boucheman''. Cinq ans après ses premières images réalisées avec eux, les jeunes garçons d'une dizaine d'années rencontrés à ce moment-là, sont désormais devenus des adolescents. En suivant les vagabondages de ces jeunes comoriens immigrés clandestinement à Mayotte, elle questionne le phénomène d'acculturation qui conduit aujourd'hui tout un territoire au bord de la rupture. En découlent d'impressionnants portraits de groupe réalisés dans les espaces-lisières que ces jeunes occupent comme la mangrove, les hauts de l'île ou encore le rivage.
En suivant les errances de ces vies clandestines, l'artiste rend compte à la fois d'une capacité d'invention, d'imitation ou encore d'adaptation de ces jeunes marginaux. Elle pointe également la résistance active au sein d'une contre-culture dont l'organisation et les valeurs se construisent en opposition à celles d'une société dominante.
En observant et en restituant les postures et attitudes de cette jeunesse révoltée, Laura Henno rend une visibilité à leurs corps. Les images qui en résultent puisent largement dans des codes picturaux et cinématographiques. C'est en se détachant d'une ambition purement documentaire, qu'elle fait apparaitre toute une dimension poétique.
La relation forte entre l'humain et l'animal que l'on retrouve au sein des images de l'ensemble du corpus, traduit ici l'expression de rapports immémoriaux entre dominance et soumission. La meute de chiens, dressés à protéger et à attaquer, élevés au sein d'une nature sauvage omniprésente, devient le leitmotiv d'un véritable récit allégorique. L'approche sensible de Laura Henno permet de mesurer les complexités d'une réalité mais aussi de ressentir toute la beauté onirique d'une relation privilégiée établie depuis toujours entre l'homme et la nature dans laquelle il vit.
Nathalie Gonthier