La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter à Paris une exposition personnelle de l'artiste belge Sophie Kuijken, représentée par la galerie depuis 2014.
Férue d'art ancien et moderne depuis son plus jeune âge, Sophie Kuijken souhaite développer une œuvre personnelle, loin de toute imitation. Après avoir étudié la peinture à la Royal Academy of Fine Art de Gand (K.A.S.K) en 1988, l'artiste s'isole pour peindre à l'abri des regards dans son atelier pendant plus de vingt ans. Cette démarche radicale se couple d'une rupture totale avec le monde de l'art, des expositions, journaux et autres revues pouvant influencer son travail d'artiste. Ce n'est qu'en 2011 que ses tableaux sont révélés pour la première fois. L'artiste rencontre Joost Declercq (ancien directeur du musée Dhondt Dhaenens) qui, séduit par la virtuosité de ses œuvres, décide de lui dédier une exposition personnelle au musée.
La présente exposition rassemble une sélection inédite de peintures à l'huile et de dessins sur plâtre dont la plupart sont présentés pour la première fois au grand public. Les œuvres exposées s'inscrivent dans la continuité des recherches de l'artiste sur le portrait, témoignant de sa fascination pour les visages et les regards. Au-dessus des figures représentées plane un mystère persistant. Les personnages ont cette capacité à nous apparaître à la fois étrangers et familiers, alors qu'il est tout à fait impossible que nous ayons déjà pu les croiser. Les portraits sont en réalité des chimères, construites à partir de plusieurs fragments photographiques. Dans une approche ultra contemporaine de la peinture et du dessin, l'artiste regroupe, recoupe et superpose des images de jambes, yeux, doigts et accessoires qu'elle glane sur Internet. De subtils détails trahissent l'agencement de ces combinaisons insolites : une teinte de peau inhabituelle, des doigts anormalement longs ou une pose atypique - comme les jambes croisées d'un nouveau-né - déstabilisent le regard du visiteur. Ces anonymes construits de toutes pièces sont un contrepoint original à l'histoire du portrait, intrinsèquement lié au modèle vivant. Les nouveaux sujets représentés, noyés dans le flux du numérique, s'ancrent désormais au cœur des œuvres pour un semblant d'éternité.
Ces écarts temporels se retrouvent jusque dans le processus de création des différentes œuvres exposées. Les dessins sur plaques de plâtre confèrent à Sophie Kuijken une spontanéité du geste beaucoup plus grande que ses peintures à l'huile, réalisées à partir d'une superposition de fines couches de peinture. Malgré leur disparité, "les deux vont de pair et s'influencent mutuellement" déclare l'artiste, il suffit de les considérer "comme une grande famille".
L'histoire de l'art traverse les visages, les corps et les fonds des œuvres. Pour ses peintures à l'huile, les coups de pinceau précis et légers sont posés sur leur panneau de bois, générant des déformations morphologiques. La lumière surgit des étoffes, les silhouettes s'étirent et les chairs aux tons crus s'allongent, évoquant le maniérisme de la Renaissance. Ces déformations, bien présentes dans la peinture italienne telles que dans les œuvres du peintre Parmigianino (1503 - 1540), suggèrent la transformation en cours des êtres saisis au cœur de la toile. Les dessins à la craie, crayon et aquarelle sur plâtre distendent également les corps par leurs traits fins et légers, attribuant aux sujets un aspect plus vulnérable, symbole de la fragilité de l'existence. Aucune permanence pour l'homme n'est rendue possible dans les portraits représentés.
"Je ne peins pas l'être, je peins le passage" déclare Michel de Montaigne dans ses Essais (1595). Dans un refus de la constance de l'être, il affirme que le moi correspond ainsi à "une diversité de visages"¹. En convoquant plusieurs temporalités, depuis la grande histoire de la peinture au monde contemporain baigné dans l'univers numérique, Sophie Kuijken semble faire écho au philosophe français, s'inscrivant dans une volonté de peindre le changement incessant de l'être. La plupart des figures mystérieuses flottent dans un monochrome impénétrable, empêchant tout ancrage temporel et spatial. Chaque membre de cette grande famille s'apparente à une allégorie des mystères de l'existence. Les figures s'érigent à hauteur du visiteur dans un face à face poignant, s'observant l'un l'autre en miroir comme un double d'eux-mêmes.
À l'occasion de sa réouverture, le musée d'Ixelles (Bruxelles, Belgique) dédiera une exposition personnelle à Sophie Kuijken en 2025.
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¹ Michel de Montaigne, Essais, Livre troisième : Chapitre 2 (Du repentir), Folio, 2009