La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter la première exposition personnelle de l'artiste américain Eugene James Martin (1938-2005) dans sa galerie de Bruxelles.
Cette exposition rassemble des œuvres qu'il est difficile d'étiqueter tant leur variété est foisonnante. La juxtaposition de plusieurs médiums et les combinaisons de signes qui indiquent - et ne représentent pas - des natures mortes¹, circulent telles des écritures plurielles dans l'unité parfaite des œuvres achevées. Les formes abstraites, issues de l'imagination de l'artiste, semblent être le seul dénominateur commun à cet ensemble daté de 1972 à 2003. L'art abstrait était le meilleur allié d'Eugene James Martin : c'est un style qui ne lui imposait "aucune restriction et aucune règle" ; un style qui lui permettait d'être totalement libre. Cet ensemble nous donne un aperçu de quarante-deux ans d'activité artistique ininterrompue, dont la liberté est restée le seul guide jusqu'à la mort de l'artiste en 2005. Au-delà des couleurs vives et de l'aspect ludique des formes abstraites, Eugene James Martin nous livre par ces combinaisons uniques, une approche résolument personnelle du monde.
Si la liberté siège au cœur de son œuvre, elle est également le maître mot de sa vie. Né en 1938 dans le quartier de Capitol Hill à Washington DC, Eugene James Martin avait, dès son enfance, un besoin impérieux de créer. Pendant une courte période, il envisagea même de devenir musicien. Son besoin d'indépendance l'a poussé à choisir les arts visuels : en jouant dans un groupe, il ne pourrait jamais être libre ; en tant que peintre il ne "s'en prendrai qu'à soi-même et à personne d'autre". C'est en 1963, après avoir étudié l'art à la Corcoran School of the Arts and Design de Washington DC qu'il décide de devenir peintre à plein temps.
En regardant les œuvres de cette exposition, nous sommes surpris d'apprendre que les débuts d'Eugene James Martin sont marqués par l'imagerie figurative : sa formation académique l'incite, dans un premier temps, à copier des maîtres de la Renaissance tels que Michel-Ange. Au cours des années 1960, des influences des modernistes européens tels que Pablo Picasso, Paul Klee ou encore Joan Miró se glissent dans ses peintures. À partir de 1967, il abandonne complètement le figuratif qu'il jugeait "trop restrictif".
Cet ensemble daté de 1972 à 2003 permet d'apprécier distinctement les différentes variations de techniques qui ont ponctué la carrière d'Eugene James Martin. Deux œuvres sur papier de la série Oval Drawings ouvrent l'exposition : des combinaisons de formes colorées s'accumulent, instables, dans un espace ovale, se détachant du fond blanc de la feuille. Ces premières compositions annoncent un travail artistique inédit à une époque où le minimalisme et le conceptualisme dominent. Entre 1976 et 1978, l'artiste commence ensuite à travailler une série de petits dessins à la mine graphite : le contraste des formes vides et pleines et les jeux de mots visuels manipulés avec humour se rapprochent des créations des surréalistes comme Salvador Dalí. Au début des années 1980, ses recherches se poursuivent avec une série entièrement réalisée aux stylos en roseau de bambou et à l'encre, mettant en scène des personnages aussi drôles qu'intrigants. Enfin, à l'aube des années 1990, l'artiste réintroduit la couleur vive dans ses œuvres. Il se concentre notamment sur ce qui représente un tiers de toute sa production artistique : les collages. Il superpose des œuvres anciennes aux œuvres récentes et, dans sa volonté de rester indépendant et entièrement libre, utilise exclusivement ses propres images dans tous les collages.
Bien que les différentes séries exposées présentent de grandes variations, le style et la spontanéité avec lesquelles Eugene James Martin a créé ses œuvres n'ont jamais changé². Toujours indépendant et critique des courants artistiques établis dans les arts visuels, l'ensemble de ses créations - qui s'élève à près de cinq mille œuvres d'art - bénéficie d'un label extrêmement personnel et singulier. À l'heure où être un artiste afro-américain aux États-Unis signifiait se confronter aux stéréotypes racistes et à un monde de l'art majoritairement blanc, Eugene James Martin affirme ne s'en être jamais préoccupé car "l'art venait de l'âme. C'était lui."
Il plaçait ainsi la liberté au-dessus de tout : durant toute sa vie, l'artiste a refusé de se compromettre. C'est dans cette approche inflexible qu'il a trouvé - et ce avec son public - la plus grande des émancipations. L'extrême habileté mêlée à la pureté enfantine de ses compositions charge ses œuvres d'un potentiel d'interprétations sans limite et offre aux spectateurs des possibilités d'imagination infinies.
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¹ Dagen Philippe, Eugene J. Martin l'insaisissable, Collection Galerie Zlotowski, Les Éditions Martin de Halleux, 2023
² Vinouze Marie, Life, Liberty and the Pursuit of Happiness, Improvisations in Time, Eugene J. Martin and the Masur Museum of Art, Masur Museum of Art Press, 2012