La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter 'Why do you tear me from myself?' a tête-à-tête with Marsyas de l'artiste contemporain belge Joris Van de Moortel.
Dans la mythologie grecque, Marsyas est un satyre. Une créature mi-homme, mi-bouc connue pour sa pratique habile de l'aulos, un instrument de musique à vent inventé par Athéna. Un jour, Apollon - célèbre pour son talent musical inégalé - provoque Marsyas en duel. Le dieu de la lumière, de la raison et des arts est déclaré vainqueur par les muses et décide d'attribuer une sentence au satyre musicien : celui-ci est suspendu à un arbre et écorché vif. Le mythe de Marsyas a inspiré de nombreux artistes à travers les siècles. Des interprétations nouvelles naissent à chaque relecture, permettant d'illustrer la thématique de l'orgueil et de poser, plus largement, une réflexion sur l'existence humaine.
'Why do you tear me from myself?' a tête-à-tête with Marsyas s'inscrit dans la continuité des interprétations du sacrifice de cette figure mythologique. Un ensemble inédit de six peintures récentes tentent de saisir toutes les facettes du portrait du satyre. Joris Van de Moortel puise son inspiration dans les œuvres de ses prédécesseurs et les réactualise en y intégrant, avec parcimonie, des références iconographiques personnelles. Le vocabulaire plastique de l'artiste contemporain côtoie celui de peintres de la Renaissance, comme pour mieux sonder la complexité du monde actuel. Car, Joris Van de Moortel a souvent affirmé que le XVIe siècle était la source de changements sociaux et culturels majeurs, qui ont progressivement entraîné l'aliénation de l'humanité dépossédée de sa nature propre. Traversant les siècles, les interprétations du mythe de Marsyas permettraient d'explorer ces liens rompus. L'exposition propose ainsi un voyage spatio-temporel qui traverse les mystères de notre existence.
Dans l'espace d'exposition, chaque peinture fait ainsi écho à une œuvre abordant la légende mythologique : des interprétations de Michelangelo Anselmi (1492 - 1554), du Titien (1490- 1576) et de Josep de Ribera (1591 - 1652), font partie des références choisies. L'univers de Joris Van de Moortel s'y insère allègrement : une iconographie personnelle riche parcourt ses compositions, à l'image de sa vitalité créative débordante. Artiste pluridisciplinaire, à la fois peintre et musicien autodidacte, Joris Van de Moortel joue avec les détails des compositions anciennes et y intègre des motifs contemporains tels qu'une guitare électrique ou encore son propre visage. Flayed by a treble guitar string, a christian variation on a bloody theme - faisant référence à l'Apôtre Saint Barthelémy de Matteo di Giovanni - remplace l'objet du martyre par une guitare électrique apparaissant en pièces détachées. Drapé de sa peau flasque, l'homme - aux traits de Joris Van de Moortel - fixe du regard le spectateur. Le personnage est défait de son enveloppe charnelle et semble s'être automutilé avec l'instrument lui permettant de gagner sa vie. Le motif de la guitare apparaît à nouveau dans l'œuvre faisant référence à Apollo and Marsyas de Michelangelo Anselmi. La Viola da Braccio jouée par Apollon a été substituée par une guitare acoustique sur laquelle est inscrit "this machine kills fascists". Cette phrase fait référence à la formule apposée par le chanteur Woody Guthrie en 1941.
Ces nouvelles peintures sont un savant mélange entre histoire collective et histoire intime, Joris Van de Moortel allant jusqu'à se représenter lui-même dans presque chacune de ses compositions. Il s'y incarne à la fois comme satyre et dieu, martyre et vainqueur, ces antagonistes illustrant les deux faces d'une même pièce. Cette caractéristique permet à l'artiste de souligner son appétence pour ces caractères fonctionnant comme les deux pôles d'un aimant : lorsque tout s'oppose tout s'attire également, la nature de l'Être étant, par essence, le bien et le mal à la fois¹.
Dans le mythe de Marsyas, le satyre se soumet à l'ablation de sa peau : il sacrifie son moi extérieur pour révéler sa chair, son moi intérieur. La représentation du corps écorché est en ce sens un processus de découverte : la chair dévoile, elle permet d'accéder à certains secrets dissimulés. Cette exploration de l'existence humaine parcourt l'espace d'exposition, Apollon allant jusqu'à glisser sa main à l'intérieur de la jambe de Marsyas dans l'œuvre vandal; mURysas, drawn in a more spiritual type of sacrifice - faisant écho à l'œuvre Apollo and Marsyas de Josep de Ribera qui sera visible au Louvre à partir d'octobre. La peinture comme médium vient renforcer cette quête : dans le travail de Joris Van de Moortel, l'épaisseur de la matière déposée sur la surface de la toile transforme chaque composition en un environnement presque viscéral. Les personnages qui y figurent frôlent la dissection, morcelés sous les coups de pinceaux vifs et saccadés.
En désignant Apollon vainqueur, le mythe de Marsyas met en exergue la victoire de la clarté céleste sur le domaine tellurique de l'ombre. Cette nouvelle série de peintures vient contester toutes ces oppositions binaires : l'œuvre mURsyas "le mât", par exemple, met en scène Marsyas accompagné de ses bourreaux sur un navire pris dans une tempête. Ici, le pouvoir rationnel d'Apollon semble incapable de sauver l'ensemble des passagers en détresse. En prenant comme point de réflexion cette légende mythologique, l'exposition tente d'explorer l'ambiguïté du processus de l'écorchement : il est une façon brutale d'exposer l'intérieur d'un être, soit pour le châtier, soit pour en faire un objet d'étude clinique, révélant la chair appartenant au régime du secret². L'écorchement de Marsyas, en franchissant le seuil qui sépare les viscères de l'épiderme, et donc le corps et l'esprit, permettrait d'explorer la condition humaine.
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¹ Deleuze, Spinoza, philosophie pratique, Minuit, 1983, p. 45.
² DUMAS Stéphane, Les Peaux créatrices : Esthétique de la Sécrétion, Klincksieck, 2014.