La Galerie Nathalie Obadia Bruxelles est heureuse de présenter Another world is waiting for us, la troisième exposition personnelle de l'artiste Hoda Kashiha dans la galerie après Dear st. Agatha I am witness of your tears In the land of Tulips en 2020 à Bruxelles et I am here, I am not here à Paris à l'automne dernier. L'exposition révèle un ensemble d'œuvres récentes que l'artiste a réalisé dans son atelier situé dans la banlieue de Téhéran. Another world is waiting for us donne à voir la vitalité d'une œuvre en pleine expansion, ayant acquis une place majeure dans la scène artistique iranienne.
Née à Téhéran en 1986, Hoda Kashiha suit initialement des études de peinture dans la capitale iranienne avant de rejoindre l'université de Boston aux États-Unis en 2014. Après avoir résidé temporairement sur le territoire américain, l'artiste repart en Iran en 2016, pays où elle décide de vivre et de travailler. Cette mobilité internationale lui permet d'élargir ses connaissances en arts et plus amplement, sa conception du monde. À 25 ans, l'artiste découvre la scène artistique américaine, beaucoup plus vaste que celle qu'elle avait connue jusque-là à Téhéran. Les divers enseignements qu'elle reçoit ont un impact sur son vocabulaire pictural : ses œuvres sont des carrefours d'influences variées, oscillant entre cubisme et veine cartoonesque, avec pour sujet central la situation socio-politique iranienne. Ses peintures et installations mettent en scène des sujets similaires à ceux des bandes dessinées ou des dessins animés, se rapprochant du pop art américain. Cependant, à la différence des bulles de pensées permettant aux spectateurs de lire les émotions des personnages, Hoda Kashiha choisit l'expressivité du geste et de la couleur : les œuvres vibrent sous les formes anguleuses, rondes, larges et étriquées, peintes à l'aide d'une palette chromatique décalée par rapport à la réalité.
Pourtant, sous leurs allures fantastiques, ces mises en scène sont bien ancrées dans le monde réel. Les réseaux sociaux sont un terrain de réflexion fertile pour l'artiste : ils sont le lieu de toutes les expressions, de revendications et de constestations, où les mots et les images foisonnent en continu. Dans un style vif et alerte, Hoda Kashiha extériorise un besoin irrépressible de liberté, une pratique exutoire tentant de traduire la situation d'urgence dans laquelle se trouve son pays d'origine. Cet ensemble d'œuvres récentes s'inscrit dans la continuité de cet engagement : traiter la violence, la puissance et le regard narcissique, fortement liés à un besoin de domination dans nos sociétés contemporaines.
L'exposition présente ainsi des œuvres portant le poids de sujets extrêmement sensibles. Les peintures suivent une narration fragmentée ; les installations sont mises en équilibre comme pour souligner l'instabilité du monde. Des motifs figuratifs tels que des oiseaux, des figures humaines au genre indéterminé, des fleurs et des armes apparaissent en leitmotiv dans ses œuvres. Quant aux formes abstraites, l'œil du visiteur devine des organes génitaux tantôt masculins puis féminins, se bousculant parfois jusqu'aux extrêmes limites de la toile. De ces entrelacements naissent des mises en scène aussi drôles qu'alarmantes, permettant à Hoda Kashiha de pousser un cri contre la guerre des sexes, la question de l'identité et du genre, à l'origine d'innombrables violences dans le monde.
Des références à l'histoire de l'art mais aussi à la vie intime de l'artiste ponctuent l'espace d'exposition. Une reproduction du Sacrifice d'Isaac (1635) de Rembrandt - avec la représentation d'une main étouffant un visage anonyme, une arme blanche pointée vers son cou saillant - se lie aux fleurs et aux tournesols, qui font quant à eux référence à Van Gogh et à la prime jeunesse de Hoda Kashiha. La fleur est instrumentalisée afin de rendre compte de la complexité du monde : la cueillette, geste voulant capturer la beauté, est également à l'origine d'une certaine violence. Les personnages représentés sont traversés par des émotions parfois contraires. Les silhouettes en pleine course, les visages scellés, les mains étouffantes, brandissant des fleurs ou des armes s'enchevêtrent sans que l'on sache si les sujets jouissent ou souffrent, s'amusent ou fuient un danger, s'aiment ou se méprisent. La dominance de la couleur rouge - visible aussi bien dans les taches de sang que dans les traces de rouge à lèvres - exacerbe cette ambiguïté : dans l'univers artistique de Hoda Kashiha, la frontière entre la sensualité et la violence devient imperceptible. En conjuguant ces diversités, des jeux de circulations proches de l'orbite de la Terre s'organisent dans l'espace d'exposition : Hoda Kashiha tente ainsi de saisir la peau des choses et du monde dans son éternelle révolution, vacillant entre l'invisible et l'indicible.
Ainsi, Another World is waiting for us s'érige comme le miroir de notre contemporanéité. Pour reprendre les mots de l'artiste, "cette exposition est à l'image d'un tremblement de terre" : dans ce théâtre du réel où la violence orchestre les formes et les sentiments, le spectateur tente de se frayer un chemin. Et, au détour de la colère ou de la peur, il apercevra peut-être la beauté, promesse d'un monde meilleur qui nous attend.