La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter L’Antichambre, la troisième exposition personnelle de Rodrigo Matheus, après City of Stars (2019) dans sa galerie parisienne et Ornament and Crime (2016) à Bruxelles, qui célébrait la première collaboration fructueuse entre l’artiste et la galerie.
Diplômé de la prestigieuse Université de São Paulo en 2001, l’Œuvre de Rodrigo Matheus a fait l’objet de nombreuses expositions au Brésil et en Amérique du Nord, avant d’être présentée en Europe à la suite de son Master au Royal College of Arts de Londres.
L’Antichambre révèle un ensemble d’œuvres inédites de l’artiste, de subtiles compositions faites à partir d’objets ordinaires. Les récentes sculptures murales s’inscrivent dans la continuité de ses recherches sur les possibilités de rencontres entre objets hétéroclites. De la capacité de disjointement associée à la volonté de réassemblage, les éléments issus du divers s’enchevêtrent comme pour dialoguer ensemble. Ces alliages donnent lieu à d’étonnantes compositions aux frontières de l’abstraction, conférant aux objets une dimension nouvelle qui dépasse leur fonction d’usage respective.
Pour sa nouvelle série, Rodrigo Matheus choisit d’exposer des éléments les plus ordinaires et antagonistes qui soient : de simples fenêtres dont les ouvertures sont interceptées par des grilles partagent l’espace d’exposition avec des valises révélant leurs contenus, présentées sur le mur à la verticale. La plupart des éléments à l’extérieur et à l’intérieur des objets exposés - comme les briques irrégulières autour des fenêtres ou les récipients minutieusement alignés dans la valise - ont été fabriqués de toutes pièces par l’artiste à partir de blocs de mousse polyuréthane. Il s’agit d’un matériau léger et facile à sculpter qui donne aux œuvres une impression de poids et de densité. L’assemblage insolite de chaque élément, couplé au trompe l’œil de leur composition matérielle, placent le visiteur dans un espace instable et mystérieux, aux portes du réel.
Cette idée de « lieu intermédiaire » reprise dans le titre évocateur L’Antichambre, est centrale dans l'exposition. La fenêtre et la valise sont, au-delà de l'objet, des espaces en soi. La valise se caractérise comme l’incarnation propre de l'espace privé, capable d’être transportée manuellement lorsque nous sommes en transit : “ son intérieur, dit l’artiste, peut être métaphoriquement considéré comme une extension de notre intérieur, de notre intimité et de nos besoins”. La fenêtre soulève également cette ambiguïté : elle symbolise la transition, le passage entre deux espaces ; de l’intérieur vers l’extérieur et ce, vice-versa. Quant aux murs de la pièce alternativement peints de bleu et de jaune, ils délimitent l’espace d’exposition avec le reste du monde qui défile derrière la baie vitrée de la galerie. Le visiteur pénètre alors dans un espace hors temps, hors champ, où s’opèrent des jeux de circulations, des projections mentales, des voyages physiques et imaginaires. Ainsi, en prenant d’une part l’argument narratif de ce que ces objets signifient pour l’artiste, les œuvres de Rodrigo Matheus activent aussi la mémoire du spectateur, reconnaissant ici et là des éléments familiers, allant de l'objet à l'architecture qui accompagne ses déplacements au quotidien.
Cependant, sous leurs allures légères, ces œuvres n’en sont pas moins sévères, marquées par les soubresauts de l’histoire du Brésil et plus largement du monde à l’ère de ce troisième millénaire. Rodrigo Matheus mentionne le tableau en trompe-l’œil de Perre Borrell del Casa titrée Fuyant la critique (1874) où la fenêtre suggère l’évasion, la possibilité d’une fuite par l’enfant qui tente de s’y échapper. Motifs récurrents tout au long de l’histoire de l’art pour la pluralité des significations qu’ils véhiculent, la fenêtre et la valise sont des figures-symboles ; ils reflètent les croyances et les coutumes de leur temps. Dans La liseuse à la fenêtre (1657-1659) de Vermeer, par exemple, la fenêtre laisse entrer une lumière douce baignant la pièce dans une atmosphère mystique, proche du divin. Les œuvres contemporaines de Rodrigo Matheus affichent à contrario une absence totale de lumière : les fenêtres grillagées, privées de luminosité et de perspectives, pourraient quant à elles signifier le sentiment d’incertitude universel sur l’avenir qui nous attend, reflétant les préoccupations au cœur de notre contemporanéité.
Alors qu’elles nous apparaissent de prime abord mystérieuses et ludiques, les œuvres exposées ont la capacité de convoquer de façon subtile et délicate toute l’ambiguïté de nos espaces partagés : elles créent le lien et distinguent l’intérieur de l’extérieur dans leurs mouvements, elles séparent et connectent, lient, encadrent, divisent et révèlent à la fois. Quand dans la vie et dans la fiction ces objets sont « les personnages secondaires de nos déplacements », ils deviennent ici les principaux sujets.
L’Antichambre s’incarne ainsi comme un espace intermédiaire où le temps ne semble plus avoir de prise sur les éléments. Ils s’ouvrent face aux visiteurs en révélant un intérieur au fond infini, et invite ses regardeurs à un voyage aux repères spatio-temporels insondables.