La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter Grau-Garriga. L'expérience imaginée, la troisième exposition personnelle de l'artiste Josep Grau-Garriga dans sa galerie à Paris, rue du Cloître Saint-Merri. Les œuvres du peintre sont actuellement réparties dans d'importantes collections et musées du monde entier, tels que le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, le MACBA de Barcelone et le Metropolitan Museum of Art de New York.
L'enseignement classique de la peinture permet, dans certains cas, d'atteindre une liberté d'expression artistique presque totale : Pablo Picasso en est l'exemple le plus éloquent. Josep Grau-Garriga, né en 1929 à Sant Cugat del Vallès près de Barcelone, commence par apprendre le dessin à l'école des Beaux-Arts de San Jordi ; il peint ses premières fresques à l'Ermitage de San Crist de Lleceres, dans la tradition de l'art mural médiéval catalan. Progressivement, l'artiste se dirige vers l'hétérodoxie en adoptant une pratique artistique expérimentale et audacieuse, nous laissant en héritage une Œuvre puissante : par sa grande maîtrise de l'art de la tapisserie et de la peinture, ses créations atteignent un haut degré de liberté, tant dans la forme employée que dans le fond exprimé. Arnau Puig souligne dans l'ouvrage de référence sur l'artiste : "En lui s'est confirmé un projet dont il poursuivait peu à peu la réalisation, et qui consistait à démythifier la haute valeur traditionnelle accordée à l'art du tissage afin de faire de celui-ci un acte, non plus de soumission à des principes et des règles établis mais un acte de liberté créatrice et expressive"¹. Matière comme moyen d'expression, superpositions de matériaux, insertions et mise en valeur de l'objet quotidien, effets de textures et reliefs rarement égalés entrent, au fil des années, dans son vocabulaire artistique et pictural.
Grau-Garriga. L'expérience imaginée donne à voir cette effervescence créative en rassemblant un corpus d'œuvres hétéroclites, toutes datées entre 1972 et 2009. Tapisseries et œuvres sur papier partagent l'espace d'exposition : elles mettent en lumière l'évolution artistique de ce virtuose de la tapisserie contemporaine, allant des œuvres marquées par les soubresauts de l'histoire politique et sociale de son pays, jusqu'aux tapisseries plus sereines et atemporelles des années 2000. L'exposition rend compte de la capacité de l'artiste à imaginer des combinaisons plastiques nouvelles, dont les lectures - tantôt claires ou de second degré - sont le reflet d'expériences personnelles et collectives. Cet accrochage plonge le visiteur au cœur d'une pensée en expansion continue, alimentée par une sensibilité à l'état brut : les œuvres de Josep Grau-Garriga réussissent ainsi à créer "le miracle d'une beauté à la fois primitive et au-delà de toute sophistication"².
Cette extrême sensibilité se manifeste depuis son plus jeune âge : l'artiste grandit dans un milieu rural, au contact de la nature. Il observe l'immensité des paysages, ses redécoupages par le travail ouvrier, la charrue labourant la terre. Géométrie des sillons, textures et odeurs s'échappent du sol éveillant sa sensibilité. Cet attachement profond aux richesses de la nature, aux objets et à la société, constitue les prémices des sujets qui l'inspireront durant toute sa vie d'artiste.
Au cours des années 1950, Josep Grau-Garriga commence à pratiquer l'art de la tapisserie ; il monte des ateliers d'expérimentations textiles dans sa ville natale. À cette même époque, ses différents voyages le sensibilisent aux courants artistiques du monde - l'art informel de Fautrier, Dubuffet et Burri en France ou le pop art et l'art conceptuel aux États-Unis. Ces déplacements géographiques le confrontent également aux différents contextes politiques et culturels de chaque pays.
Les années 1970-80 célèbrent une Œuvre opposée aux esthétismes de l'époque, ponctuée de dénonciations sociales et de messages politiques forts. Du franquisme en Espagne jusqu'à mai 1968 en France, des conflits internationaux et de la lutte ouvrière, tout semble affecter la sensibilité de l'artiste. Les sacs et les ficelles qui s'entrelacent dans ses œuvres sont des éléments-symboles, s'imprégnant de la sueur et du sang de l'humanité. La parabole la plus significative dans l'exposition est le drapeau reprenant les couleurs de celui de la Catalogne, Com bandera (Comme Drapeau), 1974. Symbole fort de sens, ce motif symbolise l'identité nationale catalane altérée par les violences de la dictature. Josep Grau-Garriga, en recherchant la libre expression dans sa pratique artistique, tente de rendre la liberté perdue des Hommes de son pays.
L'exposition révèle ainsi la capacité de l'artiste à imaginer des horizons artistiques nouveaux, à déborder des cadres établis, des règles et des conventions. L'imagination du spectateur est stimulée par ces compositions abstraites, faites d'objets non identifiés. Les titres attribués fournissent des pistes d'imagination possibles, des interprétations vaguement figuratives : une date, Agost 86 (Août 86), pourrait incarner un moment important ; Rastre de naufragi (Trace d'un naufrage) peut évoquer une expérience douloureuse et Mals lligams (Mauvais liens), des liens qui s'entrelacent en nœuds. Des porosités entre le monde réel et le monde fictif s'établissent au sein d'une seule et même œuvre, inspirées de l'Histoire commune et de l'histoire intime de l'artiste.
Car, le fil rouge de l'exposition semble suivre le parcours de vie de Josep Grau-Garriga : le visiteur déambule face à des œuvres marquées par la guerre civile espagnole des années 1970, jusqu'à la quiétude des années 2000, moment où l'artiste s'installe à la campagne en France. Bien que les fibres de laine ou de chanvre, les fils de cuivre et cordelette de plastique conservent leur épaisseur substantielle, les dernières créations de l'artiste recherchent l'unification des savoir-faire et des matériaux. Une harmonie qu'il retrouve au sein de son atelier en Anjou, à l'ambiance lumineuse et sereine, années qui marquent la fin de sa vie. Dans le pays angevin, Josep Grau-Garriga côtoie à nouveau l'immensité des paysages : un retour à l'origine confirmant son amour infini pour l'environnement, ce champ de création au potentiel illimité.
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¹Puig Arnau, Josep Grau-Garriga, préface de José María Valverde, Éditions Cercle d'Art, 1986, p.208
² Ibid., p.13