La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter PATAQUÈS, la première exposition de l'artiste Guillaume Leblon dans sa galerie à Paris, suite à The Traveler Walking on Tiptoes à Bruxelles au printemps dernier. Après avoir présenté en 2018 l'exposition personnelle THERE IS A MAN and more au S.M.A.K (Gand), l'artiste bénéficie actuellement d'une exposition monographique au Palais de Tokyo (Paris) intitulée PARADE. Dans ce prolongement, l'exposition PATAQUÈS présente un nouvel ensemble de sculptures revisitées.
Aujourd'hui, vivre dans une grande ville génère une forte impression de dislocation temporelle et spatiale. Lorsque Saul Anton rencontre Guillaume Leblon à New York en 2019, l'auteur souligne que les évolutions incessantes produites par la modernité, au lieu de donner la mort aux paysages d'autrefois, révèlent plutôt "l'absence totale d'un sol stable, d'une terre natale"¹. À l'image d'un monde en constante évolution, Guillaume Leblon fabrique des espaces nouveaux, des lieux que l'on ne connaît pas encore. Bien que le titre de l'exposition PATAQUÈS évoque des associations d'éléments divers en perspective, le sol de la galerie harmonise et fait le lien entre les oeuvres. Dès l'entrée, le visiteur marche sur la sculpture en entrant en contact avec la moquette souple et molle, que l'artiste a dispersé à l'envers et à l'endroit sur toute la surface du sol. D'une part, cette "seconde peau" met en relation les oeuvres les unes avec les autres, d'autre part les autonomise en délimitant les espaces propres à chacune. Un mouvement fait de dynamiques sensorielles accompagne donc le parcours du visiteur : comme un socle attendant sa sculpture, le sol de la galerie accueille le spectateur qui partage désormais le "terrain d'exposition" avec les oeuvres, les mettant de plain- pieds avec elles.
Les oeuvres de Guillaume Leblon reprennent des formes et des objets issus de notre environnement familier. Une coque en fonte d'aluminium - The Death of Jennifer (2022) - représente une doudoune irisée, posée à terre comme un fragment de paysage que l'artiste aurait prélevé pour venir déposer dans la galerie. "À l'origine de cette pièce, il y a une image persistante" dit Guillaume Leblon, "celle des corps au sol, à Harlem où je vis, enfermés dans leur doudoune, terrassé par l'addiction aux opioïdes qui ravage certaines populations à New York, notamment depuis les confinements et les pertes d'emploi massives pendant la pandémie du Covid-19." Dans ses sculptures, le vêtement est souvent utilisé comme un substitut de corps et un marqueur social, qui ancre l'objet dans un ici et un maintenant. Le temps semble ne plus avoir de prise sur les éléments de l'exposition : les balles de jeux - enchâssées dans les oeuvres de la série Body and Ball - ont leurs trajectoires figées ; des parties de corps moulées en plâtre sont désormais solidifiées dans leur matériau. Ces conditions modifient les mouvements des éléments immobilisés : des jeux de résistances et de forces contraires s'opèrent entre les balles et les parties de corps.
Guillaume Leblon matérialise "ce temps infini", proche de l'éternité, dans la mise en relation de ses oeuvres avec le vécu. The Death of Mary (2022), oeuvre actuellement exposée au Palais de Tokyo, trouve sa réplique dans la galerie avec The Death of Jennifer (2022). Ces deux sculptures pourraient se rapprocher symboliquement de la Piéta - sculpture iconique de Michel-Ange où, figés dans le marbre, le Christ repose sur les genoux de la Vierge Marie avant sa mise au tombeau. L'intensité dramatique de ces oeuvres - rappelons que les doudounes témoignent des conditions de vie humaine misérables dans les rues de New York - s'efface au profit d'une beauté inébranlable, un recueillement silencieux figé dans le matériau. Qu'il soit religieux ou païen, chaque sujet s'élève ici au rang d'objet fétiche. Sous les arcades de la galerie, les Grands Chariots (2012-2022) en céramique s'inspirent quant à eux des chars égyptiens inscrits en hauts reliefs sur les tombeaux des pharaons. Dans l'Égypte ancienne, les tombeaux étaient considérés comme des demeures d'éternité qui conservaient la vie. Ces références égyptiennes se déploient jusque dans la représentation iconographique de la Nageuse au repos (2013-2022). Le corps nu étiré pourrait être une femme endormie avec le visage couvert par un livre mais aussi une cuillère à fard égyptienne - un objet à la fonction incertaine, utilisé comme un récipient pour des cosmétiques ou comme objet de culte, qui appartenait au mobilier funéraire des particuliers.
Les sculptures Still Life et Portrait Nu (2022) sont toutes deux parées de tissu ample, disposé de manière à retomber en plis. Dans Still Life (2022), le pantalon - objet inanimé - suspendu comme par magie au dessus du "guéridon" en marbre drapé, fait écho au genre artistique de la nature morte. Le vêtement suggère l'absence du corps tout en incarnant la présence fantomatique d'une vie passée. L'histoire du drapé, motif artistique depuis l'antiquité grecque, permettait aussi de dissimuler - tout en épousant - la nudité des corps. Ainsi, la draperie de l'œuvre Portrait Nu, dans sa fonction de peignoir ayant absorbé le poids de l'humidité, suggère sa relation intime au corps. Cette dimension sensuelle se prolonge lorsque la vidéo Pocket Love - filmée involontairement à partir d'un téléphone portable dans une poche de vêtement - vient entièrement recouvrir Portrait Nu : la sensualité inonde ainsi l'espace par la couleur des images à peine suggérées, mêlé aux bruissements du contact amoureux.
Dans l'Oeuvre de Guillaume Leblon, l'espace est une affaire de perception avec et par le corps. En brouillant toutes les certitudes spatio-temporelles familières, l'exposition se transforme en un théâtre sensible à toutes les mutations, témoin du monde mouvant dans lequel nous évoluons.
Guillaume Leblon assure l'accrochage de l'exposition OFF WATER, accessible dans l'espace II, dans laquelle figure une sélection d'oeuvres d'artistes de la galerie.
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¹ Saul Anton, Laisser de la place, sculpter le temps, Guillaume Leblon selon Saul Anton, Traduit de l'anglais par Elsa Boyer, TextWork Plateforme Éditoriale Fondation Pernod Ricard, janvier 2020, p.1