La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter la troisième exposition personnelle de Benoît Maire intitulée EITHER-OR, le temps romain à la galerie de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Pour la première fois dévoilées au grand public, les œuvres exposées sont le fruit du travail que l'artiste a réalisé en 2021-2022, lors de sa résidence à la prestigieuse Villa Médicis à Rome. Ces nouvelles œuvres conçues durant ce « temps romain », permettent aujourd'hui une exposition inédite ouvrant un dialogue visuel entre l'art et la philosophie.
La singularité de l'œuvre de Benoît Maire émane de l'enseignement pluridisciplinaire qu'il reçoit. En effet, l'artiste est doublement diplômé en art et en philosophie. Sa pratique se situe au point de jonction entre la pensée et la matière : à l'insuffisance des mots pour exprimer la théorie, Benoît Maire ajoute des ouvertures plastiques et visuelles. L'exposition EITHER-OR, le temps romain, témoigne de cet entrecroisement. Des alliages hybrides conjuguent écritures, symboles et motifs qui tentent, par leur combinaison, de sonder l'écart fondamental entre le dire et le voir.
Le titre de l'exposition EITHER-OR, le temps romain évoque cette idée d'alternative, « une notion que l'on retrouve dans le processus de la peinture, mais aussi à tous les niveaux de notre existence » explique l'artiste. Sérigraphiés sur l'un des grands formats de l'exposition, la combinaison de « Either » et « Or » connecte deux choix exclusifs, une alternative sur laquelle il faut trancher. Les mots sont répartis dans un grand damier, comme dans une grille logique, suggérant également cette idée de binarité, de décision. Dans cette composition, l'écriture s'allie aux formes que l'artiste va puiser dans l'histoire de l'art. La main de Saint-Jean-Baptiste empruntée à l'artiste Rogier van der Weyden (volet gauche du Triptyque de la famille Braque, 1452, conservé au Louvre) flotte également sur certaines toiles et semble désigner du doigt ce qu'on ne parvient pas à nommer. Benoît Maire élabore ainsi des jeux de circulations où la complexité de la théorie s'élucide dans l'image.
Si l'on retrouve le lexique visuel commun de Benoît Maire dans ses dernières œuvres, des changements témoignent des expérimentations récentes de sa pratique. Les nuages sont toujours présents : initiés en 2012 dans la série Peintures de Nuages, ils évoquent la douceur de la peinture des paysages chinois, des souvenirs impressionnistes et des lieux fantasmés d'Emil Nölde. Une invitation à la rêverie accentuée par la nouvelle apparition du motif de la fenêtre, cette ouverture possible incitant à la contemplation. Un désir d'évasion également suggéré par l'apparition du cheval qui traverse les plans et les dimensions de certaines œuvres de l'exposition. Pour Benoît Maire, ce mouvement est celui de la fuite, comme, le rappelle-t-il, dans Richard III de Shakespeare où le monarque souhaite l'échanger contre la totalité de son royaume « un cheval, mon royaume pour un cheval ! ». Dès lors, pour l'artiste : « l'enjeu de la figure du cheval est de rendre effective la priorité de l'être sur l'avoir, et pour que l'inscription soit, soit encore, il faut qu'elle s'échappe. »
Ces ouvertures qui apparaissent dans son travail donnent à voir de nouvelles zones de perspectives, inspirées de l'environnement qu'il fréquente quotidiennement à Rome et de la peinture Madonna and child with a Donor d'Antonio Solario. Dans cette œuvre du peintre italien issu de l'école napolitaine du XVe siècle, la fenêtre en haut à droite s'ouvre sur un paysage idéalisé, le drapé en arrière-plan témoigne de la mise en scène et les mains de la vierge sont le signe d'une bénédiction. « À ce moment, dit l'artiste, il n'y avait pas de livres qui circulaient, et les peintures contenaient les récits dominants, tous leurs signes étaient langagiers. » En reprenant les mêmes éléments, Benoît Maire efface l'expérience divine au profit de la mystique de l'art moderne : les fenêtres, dans leur économie de moyens graphiques, s'ouvrent désormais à l'art minimal. Ainsi, certaines œuvres de l'artiste s'inspirent de la perspective religieuse dont les primitifs italiens faisaient usage et d'autres empruntent leurs formats arrondis à l'architecture romaine de la Renaissance.
Les diptyques témoignent de ces influences architecturales : les deux panneaux s'inspirent du format en demi-lune et s'assemblent en paire. Par cette union, l'artiste organise le prolongement ou la rupture de son trait en passant d'une toile à l'autre. Chaque œuvre de l'exposition semble être ici un maillon irremplaçable de cet ensemble disparate. Les peintures de l'artiste se déploient dans l'espace pour finalement faire corps toutes ensemble. Il faudrait les voir « comme une grande famille » dit l'artiste.
Tout en s'inscrivant dans la continuité des formes depuis la Renaissance par le biais classique de la peinture, le travail de Benoît Maire détonne par son extrême contemporanéité. L'artiste a recourt à des techniques plastiques à la fois traditionnelles (fondus chromatiques à la peinture à l'huile, empâtements, glacis, peinture au couteau, travail sur des teintes profondes et vaporeuses) et contemporaines (utilisation de pochoirs et de bombes aérosols, sérigraphies, usage de scotch). Benoît Maire est le peintre de l'enchevêtrement : il se situe entre le philosophique et l'artistique, la forme et le fond, tout en faisant apparaître continuités traditionnelles et transformations inéluctables de la peinture. Cette nouvelle exposition présente ainsi de vastes terrains d'expérimentations accumulant des strates de temporalités différentes. La présence du motif de la fenêtre ne symboliserait-elle pas l'ouverture à travers laquelle nous avons tous essayé de nous évader un temps ? Toujours dans cette dynamique ambivalente, ces brèches invitent le regardeur à l'introspection et à la contemplation du paysage extérieur.
À l'occasion de cette exposition, la Galerie Nathalie Obadia a produit la publication d'une série de photographies de l'atelier de Benoît Maire par Julien Carreyn, accompagnée d'un texte du critique d'art italien Stefano Chiodi.